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Younes Baba-Ali expose à la BF15
Ce jeudi 09 septembre, l’équipe de CCC Média s’est rendue à un vernissage à la BF15, lieu incontournable de l’art contemporain lyonnais, où nous avons rencontré Younes Baba-Ali, le temps d’une interview. L’artiste franco-marocain nous présente son exposition « DÉGRISEMENTS », programmée jusqu’au 06 novembre 2021, dans laquelle il interroge aussi bien nos croyances personnelles que l’objet d’art en général…
Une exposition personnelle
Vivant à Bruxelles depuis 2011, Younes Baba-Ali est né à Oujda (Maroc) en 1986 et a grandi en France. Nous le retrouvons à la BF15 pour sa sortie de résidence et à l’occasion du vernissage de « Dégrisements ». Disponible jusqu’au 06 novembre 2021, cette exposition est composée de différentes pièces dont la plupart sont nées ici à Lyon, lors de cette résidence artistique. Chacune des œuvres interroge à tour de rôle l’objet d’art, la spiritualité ou encore nos rapports aux objets du quotidien.
On retrouve par exemple une petite parabole installée en haut de la façade de la galerie. Pivotant de droite à gauche, elle se cherche à la limite physique du bâtiment et de l’enseigne de la galerie.
« C’est un peu une espèce d’autoportrait, une espèce de crise. Une parabole qui est un peu en crise identitaire, qui cherche quelque chose, on ne sait pas quoi, on ne sait pas où. »
Parmi ses pièces, Younes Baba-Ali présente aussi une étrange série de chaussures disposées dans des petites vitrines cloches. Des babouches, des sandales, des baskets de mauvaise qualité sont mises en valeur posées sur un velours rouge à l’instar d’objets sacrés. Pourtant ses chaussures sont communes, anodines…
« Ce sont des positionnements qui sont liés à des prédilections dans la culture Nord-Africaine. On est un peuple très superstitieux et les chaussures ont une grande symbolique, la façon dont on laisse ses chaussures à l’entrée en rentrant dans une maison ou dans une chambre symbolise énormément. »
Crédit photo : CCC Média
La révolution des objets du quotidien
Younes Baba-Ali fait ses débuts d’artistes par une pratique en atelier assez classique : la peinture, le dessin. Il fait les arts décoratifs de Strasbourg puis les Beaux-Arts d’Aix-en-Provence. Il décide de délaisser cette branche pour explorer d’autres formes artistiques.
« Un moment donné j’en avais juste ras le bol d’être dans cette démarche un peu confinée, de l’artiste dans son atelier tout seul. Donc j’ai commencé à quitter le travail d’atelier et à m’intéresser un peu à des objets, à des situations très quotidiennes. »
L’artiste se penche alors sur le détournement de l’objet familier. Il redonne du sens aux objets banals du quotidien, les interroge, leur donne un nouveau discours peu commun et parfois même en apparente contradiction avec leur utilité première. Il réalise d’étonnantes associations, comme dans une pièce composée d’un cercueil rempli de lampes bronzantes. Cette combinaison de 2 objets qui n’ont rien à faire ensemble, un cercueil et un solarium, va créer un nouveau concept, l’objet véhicule une tout autre idée.
La « révolution de l’objet quotidien » est une idée développée depuis des années par Younes et qu’il a découvert chez d’autres artistes. Il dénonce l’esprit consumériste qui pousse à perdre conscience des objets qui nous entoure et que l’on utilise chaque jour.
« Moi mon plaisir c’est de leur donner une âme, de les révolter. Qu’ils puissent prendre position et presque emmerder les gens, faire une manifestation. »
Crédit photo : CCC Média
« J’aime questionner le public, j’aime bien le titiller pour le pousser à développer sa propre réflexion. »
Si ses œuvres citées peuvent d’abord amuser le.a spectateur.ice, le but de l’artiste est bien d’inviter son public à réfléchir, à s’interroger. Les questionnements sont pluriels. D’abord, ils visent la valeur de l’objet sacré : à quel point il est sacré et à quel point il ne l’est pas ou plus ? Mais ce sont autant de questions sur l’objet d’art : À quel point l’objet est artistique et pourquoi ? Le message véhiculé est souvent tourné vers l’introspection personnelle, à commencer par l’artiste lui-même.
« Je suis dans une démarche de questionnements. Je me pose des questions moi-même que je partage avec mon public. »
Younes Baba-Ali a parfois une volonté de déranger en mélangeant des symboliques, des langages, des idées qui peuvent être très opposés. Il questionne aussi des choses d’actualités parfois tabous comme dans la série de dessins « Objets désacralisés », qui représente des objets de culte considérés comme sacrés totalement détournés pour entrer dans la vie quotidienne. Sur l’un, une bible permet de caler un meuble, dans l’autre une kippa est retournée et sert de panier à fruits.
« La question que moi je me pose je veux la partager avec l’autre et que la personne qui va se la poser, le fasse à son niveau intellectuel et avec son propre regard culturel. Il y a une volonté de perturbation, de court-circuiter plus que de déranger sans intérêt. »
Crédit photo : CCC Média
Le son au cœur de son travail
Lorsque Younes décide de sortir de son atelier et de se confronter aux gens et à d’autres territoires, il commence à voyager. Le son devient alors un nouveau moyen d’expression artistique puisqu’il nécessite peu d’équipement pour le capter, le travailler et le diffuser. L’intérêt et la persévérance de l’artiste avec le son est d’abord, selon lui, culturel. Directement lié à sa culture marocaine, culture d’oralité, cette forme a pris petit à petit place dans son travail. D’autre part, même en ayant des déficiences auditives, il n’est pas possible d’échapper aux ondes sonores. C’est ce « pouvoir » qui attire aussi l’artiste.
« Le son, il est physique, même si tu te bouches les oreilles, le son vibre en toi. Même si toi tu ne veux pas écouter, tu vas devoir le subir d’une manière ou d’une autre. »
Pour la démarche introspective de « Dégrisements » qui remet en question l’objet culte, l’objet ésotérique, la foi, la croyance – religieuse ou la croyance en soi – l’artiste a choisi le silence.
« Je trouvais que le silence était fort. Avoir du silence, au final, ça allait donner du poids aux œuvres, à l’expo. »
Cette fois-ci, l’exposition ne comportera pas de pièce spécifiquement sonore, seuls résonneront les sons des œuvres elles-mêmes, notamment le moteur de la parabole et une autre œuvre nommée « Don’t anger Râ » (« N’énervez pas Râ). Cette dernière générera du bruit par des mouvements de parapluies qui s’ouvrent et se ferment dans un espace intérieur. Ce travail fait référence à la superstition du parapluie, connue dans le monde entier, mais n’ayant pas d’origine claire et commune. Dans la mythologie égyptienne, si on ouvrait un parapluie sans la présence du soleil, le dieu Râ (dieu du soleil) devenait furieux.
« Ici on est presque dans un titillement, on va se créer de la malchance, nous-mêmes en faisant ouvrir fermer un parapluie à qui on va donner une âme et qui va avoir une espèce de comportement dans l’espace »
Vous pouvez suivre le travail et les actualités de Younès Baba-Ali sur son site Internet, sur Instagram ou Facebook. L’ensemble des œuvres composant « Dégrisements » sera exposé à la BF15 jusqu’au 06 novembre.
Dans le cadre d’un évènement culturel organisé par le Centre Wallonie-Bruxelles et lié à cette exposition, Younes Baba-Ali met en place une performance nommée « Pas deux fois » en collaboration avec l’artiste congolais Androa Mindre Kolo. Un happening où l’artiste annonce déjà qu’il crucifiera son collègue sur le toit d’une dépanneuse pour ensuite réaliser une procession allant de la BF15 jusqu’à la Villa Gillet.
Cet évènement aura lieu le samedi 2 octobre à partir de 16H au départ de la galerie BF15, ne la ratez pas !
Solène Gaudefroy, rédactrice pour CCC Média