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🍀ARTI’STORY #37 – Zazou Minaude, le burlesque haut en couleur 🍀

 

L’Ă©quipe de CCC a eu la chance de rencontrer Zazou Minaude, jeune performeuse de burlesque. L’occasion pour nous de revenir sur l’histoire de ce genre artistique, entre dĂ©suĂ©tude et regain de popularitĂ©, subjection des corps et rĂ©appropriation de la sexualitĂ© fĂ©minine, le temps d’une conversation de notre fameux format Arti’Story. 

Voyage temporel dans le monde du burlesque

Éloignons-nous pour commencer un peu de notre Ă©poque, car pour mieux comprendre le nĂ©o-burlesque, il faut dĂ©jĂ  comprendre ce qu’est le burlesque. Il faut pour cela remonter plus loin qu’on pourrait le penser, car les origines de ce genre artistique sont bien antĂ©rieures Ă  l’Ăąge d’or du cabaret, associĂ© Ă  celui du burlesque dans l’inconscient collectif. 

Pourtant, “burlesque” est d’abord un terme venant de la littĂ©rature, utilisĂ© pour dĂ©signer tout texte extravagant et abondant, cherchant Ă  dĂ©noncer derriĂšre les exubĂ©rances. Gabriel NaudĂ© le dĂ©finit comme « l’explication des choses les plus sĂ©rieuses par des expressions tout Ă  fait plaisantes et ridicules » (dans Le Mascurat, 1649). 

Etymologiquement, le mot dĂ©rive de l’italien « burla », signifiant « farce ». Le burlesque cherche donc Ă  dĂ©passer les limites, casser les codes, fleurter avec l’absurde, au moyen de dĂ©tournements, caricatures, exagĂ©rations, parodies, humour noir voire clownesque.  Des auteurs comme MoliĂšre et Paul Scarron par exemple sont tous deux adeptes du genre. Il s’est dĂ©clinĂ© par la suite Ă  travers les arts de la scĂšne, et notamment au cinĂ©ma (l’exagĂ©ration ne serait-ce que de Chaplin ou Keaton, peut rappeler les codes burlesques). 

Nous arrivons au XIXe siĂšcle, Ă  la fameuse Belle Epoque française, oĂč Paris rime avec Pigalle, Pigalle avec cabarets, et cabarets avec sexe et dĂ©bauche. L’on pourrait penser qu’il s’agit lĂ  des balbutiements du burlesque en thĂ©Ăątre comme on se l’imagine aujourd’hui, pourtant, ce n’est vraiment qu’aprĂšs la grande guerre, dans les annĂ©es 20, que le mouvement prend vĂ©ritablement de l’ampleur. 

Ces premiers streap burlesques se concrĂ©tisent rĂ©ellement au cours des annĂ©es 50, quand ils voyagent outre-Atlantique, s’Ă©panouissant dans l’univers du music-hall. Des noms comme Gyspy Rose Lee, Lili St. Cyr, Mary Mack ou encore Betti Page sont insĂ©parables de cette Ă©poque. Bien loin de notre chĂšre Ă©poque de la bohĂšme parisienne du XIXe siĂšcle, les origines consĂ©quentes du burlesque se placent donc chez nos voisins anglo-saxons, au temps de l’American dream. 

Une dĂ©cennie plus tard, et l’American dream est dĂ©jĂ  remis en question par la jeunesse baby-boomer qui s’agite en rĂ©voltes Ă  travers le globe. Il est venu le temps de la rĂ©volution sexuelle et de la libĂ©ration des mƓurs : le burlesque tombe alors en dĂ©suĂ©tude, au profit d’une Ă©vocation sexuelle plus directe. 

Il faudra attendre le milieu des annĂ©es 90 pour que le burlesque reprenne de l’ampleur, toujours aux Etats-Unis, grĂące Ă  des troupes comme le Velvet Hammer. La tendance s’internationalise, et nous commençons alors Ă  parler de nĂ©o-burlesque, ou new-burlesque. C’est dans cette mouvance que s’inscrit le travail de Zazou Minaude ; une artiste de nĂ©o-burlesque donc, mais dont la pratique ne pourrait exister sans rĂ©fĂ©rence ou clin d’Ɠil Ă  l’histoire toute particuliĂšre de ce mouvement que nous venons d’Ă©voquer. 

Crédit : Clara Hugueney

Burlesque, cabaret, pîle-dance


Il est important de faire une distinction dans la définition de termes comme « cabaret », « streap-tease », « pole-dance », appartenant tous au vocabulaire du spectacle « sexy », comme le mot « burlesque ». 

Zazou nous Ă©claire sur ce point et nous partage sa dĂ©finition personnelle du burlesque: en un mot, il s’agit pour elle de la libertĂ©. GĂ©nĂ©ralement qualifiĂ© de « grand-mĂšre du streap-tease », le burlesque se distingue pourtant de celui-ci: le terme de « streap » a Ă©tĂ© remplacĂ© par le poĂ©tique « effeuillage ». 

Les performers de burlesque s’effeuillent, c’est-Ă -dire qu’ils/elles jouent sur l’Ă©vocation de la sensualitĂ©. A l’inverse des streap-teasers, il n’y a jamais de corps-Ă -corps, et l’activitĂ© est pratiquĂ©e avec une dimension plus artistique : lĂ  oĂč le streap-tease est une profession, le burlesque demeure une passion pour ceux qui la pratiquent. Difficile d’ĂȘtre performer de burlesque Ă  tant plein tant cette forme d’art reste marginale, mais nous y reviendrons. 

Aucune nuditĂ© complĂšte n’est pratiquĂ©e dans le burlesque : il y aura toujours caches-tĂ©tons et caches-sexe, comme pour mettre en exergue que le but du burlesque n’est pas tant d’aguicher que de jouer sur la beautĂ© des corps. L’exercice est une “cĂ©lĂ©bration de la beautĂ© de tous les corps, qu’ils soient fĂ©minins ou masculins”, comme le rappelle Zazou, Ă©rigeant les corps en formes d’art mĂ©ritant d’ĂȘtre observĂ©es comme celles des plus grands peintres. 

En ce qui concerne le cabaret, il s’agit plus d’un lieu proposant des spectacles, qu’ils soient de music-hall, comĂ©dies, thĂ©Ăątre, danse, etc
 plutĂŽt qu’une forme d’art Ă  proprement parler. Le burlesque peut ĂȘtre pratiquĂ© dans des cabaret, d’oĂč leur rapprochement lexical, mais le burlesque est une forme d’art, lĂ  oĂč le cabaret est un univers de spectacle, ayant des codes et une histoire qui diffĂšrent. 

Zazou le rappelle en des termes simples: “le cabaret se rapproche plus de la danse et du thĂ©Ăątre. […] Il est trĂšs connotĂ© jazz, Hollywood.”. Le burlesque rĂ©pond Ă  des codes diffĂ©rents, et est en gĂ©nĂ©ral trĂšs libre de forme. Il y a autant de types de burlesque que d’artistes burlesque, et c’est ce qui a attirĂ© Zazou Ă  pratiquer cette forme d’art, encore trop mĂ©connue du grand public
 

Crédit : Cyril Vaney

Zazou Minaude, notre effeuilleuse lyonnaise

La proximitĂ© dans l’imaginaire collectif du monde du burlesque avec celui de la sexualitĂ© peut facilement amener Ă  se demander comment et pourquoi les artistes de l’effeuillage dĂ©cident de pratiquer une telle forme d’art ? C’est la question que nous avons Ă©galement posĂ©e Ă  Zazou, qui revient donc sur son parcours. 

Elle nous explique comment, pour elle, tout a d’abord dĂ©butĂ© avec sa dĂ©couverte et apprĂ©ciation du mouvement Pin-Up, de sa mode rĂ©tro et de son esthĂ©tique gĂ©nĂ©rale. Au cours de ses recherches, elle est tombĂ©e sur le profil d’une effeuilleuse: intriguĂ©e, elle a fouillĂ© son profil pour tomber sur le mot magique, « burlesque ». De fil en aiguille, elle s’est intĂ©ressĂ©e Ă  cette forme d’art, Ă  aller Ă  des spectacles, puis a commencĂ© Ă  la pratiquer elle-mĂȘme. 

Elle pratique le burlesque de maniĂšre encore amatrice, pour l’instant. Elle est artiste scĂ©nique par passion, et sait bien qu’il serait suicidaire de se lancer Ă  temps plein comme artiste burlesque, le milieu restant encore trĂšs prĂ©caire Ă  cause de sa sous-reprĂ©sentation dans le monde de la scĂšne. 

L’engouement de la part du public pour le burlesque, bien qu’ayant repris de la vigueur, nous le confirme Zazou, reste encore trop timide pour permettre une Ă©mergence de plus de reprĂ©sentations et spectacles. Elle peut envisager un travail scĂ©nique professionnel en combinant sa pratique de l’effeuillage avec celle d’autres formes d’arts vivants. Mais le monde du dĂ©nuement et du cache-tĂ©ton reste pour le moment une pratique encore trop marginale. 

Une marginalitĂ© qui, bien qu’elle oblige les artistes Ă  multiplier les formes d’arts pour survivre, permet Ă©galement de garder une forme d’exclusivitĂ© et d’intimisme, comme un terreau fertile pour le dĂ©ploiement de l’univers de chacun sur scĂšne. Pas de rĂšgles imposĂ©es ou de normes Ă  suivre car le mouvement reste underground, les artistes peuvent se complaire de faire plus ou moins ce qu’ils veulent sur scĂšne. 

C’est le cas de Zazou: elle personnalise le genre de l’effeuillage burlesque en le teintant d’humour, un humour oĂč elle fait s’exprimer toute sa thĂ©ĂątralitĂ©, comme pour dĂ©sacraliser la sensualitĂ© de ses performances. La sensualitĂ© restant pour autant en point d’orgue de toute sa pratique, mais qu’elle arrive Ă  renforcer tout en la dĂ©samorçant paradoxalement quand elle la combine Ă  l’humour. 

Nous le voyons, le burlesque garde encore toute son indĂ©pendance et permet aux artistes de faire Ă©clore leur univers, toujours unique et individuel, comme pour mieux donner corps Ă  la subversivitĂ© de cette forme d’art. Une question se pose pourtant: dans quelle mesure le burlesque est-il un art subversif ? 

Crédit : Jérémy Berger

Femme-objet vs femme-sujet 

Question légitime: est-ce se battre contre ou renforcer le sexisme que de pratiquer le burlesque ? Les performeuses burlesques se placent-elles en femme-objet ou en femme-sujet ? 

Pour Zazou, la rĂ©ponse est toute trouvĂ©e: le burlesque est un acte militant qui permet tout d’abord Ă  ceux qui le pratiquent de jouer avec l’image sexualisĂ©e de leur corps. Il s’agit de se rĂ©approprier son apparence, sa sexualitĂ©, sa fĂ©minitĂ© (ou masculinitĂ©). Comme dit plus tĂŽt, le burlesque dirige les projecteurs sur la beautĂ© de tous les corps : via cet acte, les artistes ne cherchent pas Ă  renforcer les standards de beautĂ© pour plaire Ă  un male gaze machiste, mais reprĂ©sentent les corps dans leur version la plus crue. 

La presque nuditĂ© force de ne rien pouvoir cacher, “dĂ©fauts” et complexes sont dĂ©sormais visibles de tous, et cĂ©lĂ©brĂ©s. Une mise Ă  nu psychologique s’ensuit, comme un acte presque mĂ©ditatif, tout du moins thĂ©rapeutique, comme nous le confie notre interviewĂ©e. 

De plus, le burlesque met en avant la diversitĂ©. Celle des corps pour commencer, mais aussi celle des orientations, identitĂ©s, pratiques sexuelles – le burlesque est comme un freak show moderne oĂč chaque artiste est exposĂ© mais cĂ©lĂ©brĂ© en mĂȘme temps. La scĂšne devient le lieu de tous les possibles oĂč les artistes jouent avec les codes sociĂ©taux, Ă  coup de rĂ©fĂ©rences pop-culture et se moquent des conventions. 

Nous en revenons alors Ă  la dĂ©finition donnĂ©e du burlesque au dĂ©but de cet article (magique tour complet que celui effectuĂ© dans ce texte) et au mot “libertĂ©â€ clamĂ© par Zazou pour dĂ©crire sa passion. La libertĂ© permet Ă  chacun de s’offrir de la maniĂšre la plus authentique possible, crĂ©ant un spectacle toujours unique et se jouant des attendus. VoilĂ  ce qui fait la force du burlesque, une forme d’art ayant en dĂ©finitive la subversivitĂ© en son point d’orgue. 

Une forme d’art encore pas assez populaire, peut-ĂȘtre liĂ© au tabou de ce qui attrait au sexe, mais Zazou et l’équipe de CCC MĂ©dia encourageons Ă  dĂ©couvrir et Ă  supporter. Comme le dit si bien l’artiste pour clĂŽturer son entretien avec nous: le plus important dĂ©sormais est de soutenir la culture dans toute ses formes et d’aller voir des spectacles dĂšs qu’il le sera possible. Et pour les plus curieux, une invitation Ă  sortir de leur zone de confort pour dĂ©couvrir le monde du burlesque. Nous parions que ceux qui en feront l’effort ne seront pas déçus ! 

Noémie Keller, rédactrice pour CCC Média 

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