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LES PIEUVRES
CCC Média a eu la chance de rencontrer 6 membres des Pieuvres. Ce jeune collectif de théâtre aux valeurs féministes queer a réuni au total 17 artistes autour d’un premier spectacle intitulé VIOLENTES. Alice, Rose, Millepertuis, Cobi, Fanny et Gnous·se nous parlent d’horizontalité, de lutte intersectionnelle et d’octopus…
Les débuts des pieuvres
Les Pieuvres c’est un collectif de théâtre féministe queer basé à Lyon qui s’exporte dans toute la France pour présenter leur premier spectacle VIOLENTES. Crée en novembre 2020, le groupe a choisi la non-mixité de genre. Parti de la création d’abord, ce format sans homme cisgenre s’est imposé au collectif afin de créer un espace safe pour parler de questions de genre et de luttes auxquelles font face les personnes assignées femmes à la naissance. Ces questionnements sont au cœur du spectacle VIOLENTES qui les abordent à travers de performances scéniques très diverses.
À la base du projet, ce sont cinq étudiantes de l’ENS Lyon qui lance un appel à participation. Pleins de jeunes artistes viennent alors rejoindre les rangs de la compagnie, aujourd’hui composée de 17 pieuvres.
Quand on leur demande pourquoi iels ont choisi ce nom de petit céphalopode pour les représenter, Alice nous confie qu’il s’agissait d’abord d’un clin d’œil au film de Céline Sciamma (La naissance des pieuvres). Pour Gnous·se, c’est aussi un animal qui leur ressemble.
« C’est un truc avec pleins de tentacules, avec plusieurs cœurs et plusieurs cerveaux mais qui a une cohérence dans sa façon de fonctionner. C’est comme ça qu’on essaie de fonctionner en plateau et en répétition. »
Une horizontalité dans la création artistique…
En effet, ce collectif féministe évolue avec 17 corps et 17 cerveaux à travers l’horizontalité, dans leur processus de création artistique d’abord. C’est-à-dire que chacun·e peut s’essayer à l’écriture et à la mise en scène, les performances sont créés de manière collaborative. Leur premier spectacle VIOLENTES est né de ce processus.
Mais alors, comment fonctionne l’horizontalité dans un groupe de 17 ? Les premiers mots de Rose sont « Bah c’est compliqué ! ». Pourtant à l’entendre il semble qu’aucune autre démarche ne soit mieux adaptée à ce collectif intersectionnel. On imagine bien que 17 artistes ont nécessairement des points de vue, des envies et des manières de créer différentes mais ce challenge dans le fonctionnement est quand même proposé et s’impose petit à petit.
Concrètement, dans la création, les artistes essaient de faire tourner les avis extérieurs pour construire la scène à plusieurs regards.
« Ça ne veut pas dire qu’on va toujours au compromis, c’est plutôt qu’on essaie de construire notre regard, la dramaturgie du spectacle et sa cohérence à plusieurs cerveaux quasiment en se relayant et en essayant d’être constructifs. » Gnous·se
…mais aussi dans tout le reste.
En dehors des plateaux, l’horizontalité est aussi synonyme de partage des tâches et de la charge mentale liées à la gestion de la compagnie. Petit à petit les responsabilités sont distribuées en fonction des envies, des compétences et des disponibilités.
« C’est comme ça aussi que vient l’idée de ‘collectif’ parce que ce n’est pas juste jouer tous·tes ensemble mais c’est aussi faire tout ce qu’il y a derrière. » Fanny était d’abord présente juste en tant que comédienne. Avec cette démarche, elle s’implique maintenant beaucoup plus dans la création comme dans l’administration du spectacle et de la compagnie.
« C’est hyper dur mais c’est hyper beau aussi »
Millepertuis nous explique qu’à ses prémices le spectacle a été élaboré de façon plus classique par 5 porteur·euse·s de projet. Un calendrier très serré les oblige à garder ce fonctionnement un moment. Puis 13 membres partent pour un festival dans la Drôme en aout 2020 et vont chacun prendre, à cette occasion, plus de place dans le groupe. Le tournant se fait réellement en janvier 2021 pendant une résidence à Ivry-sur-Seine. « Là-bas on a recréé le spectacle, on s’est posé aussi des grosses questions d’organisation et on a acté une horizontalité qu’on ne cesse de retravailler en permanence. » Millepertuis
Aujourd’hui, tous·tes ont adopté ce fonctionnement collaboratif qui est perpétuellement remis en question et participe ainsi à la singularité du collectif.
« Il y a toujours des moments où il y a une hiérarchie qui émerge et ce n’est pas grave en fait parce que c’est aussi comme ça dans l’horizontalité. On ne peut pas toujours être constant là-dedans et la questionner ça permet aussi que ça évolue. » Rose
Compliquée à mettre en pratique, l’horizontalité représente un vrai challenge pour un ensemble d’artistes aussi nombreux. Mais il en ressort qu’elle participe à la richesse des images et à la puissance collective propres aux Pieuvres. En somme, l’horizontalité c’est une belle façon de lutter ensemble, vraiment.
Des luttes intersectionnelles
Au fur et à mesure de l’avancée de VIOLENTES et avec l’arrivée des nouveaux·elles performer·euse·s, les opinions, les luttes, les réflexions voire les identités de certain·e évoluent, changent, se croisent. Finalement, la construction de leur premier spectacle entraîne une déconstruction plus intime des artistes qui le compose, et vis-versa.
« On a essayé de travailler avec ce qu’on était et je pense que ça se reflète dans l’évolution de VIOLENTES »
Au départ, les 5 porteuses de projet sont des femmes cisgenre déjà en recherche d’intersectionnalité dans leur art. Pour Millepertuis, président·e du collectif, le cheminement du spectacle a aussi pris une dimension introspective qui l’a amené·e à repenser son identité : « Pour moi, VIOLENTES a changé beaucoup de choses dans mon rapport à moi, à mon genre, à ma racialisation aussi. C’est hyper beau que le collectif accompagne ça. »
Même si leur spectacle et leur fonctionnement en tant que groupe noue un lien fort entre art et militantisme, VIOLENTES ne propose pas qu’une simple illustration ou une manifestion d’opinion. Les Pieuvres portent beaucoup de luttes dans leurs façons d’évoluer ensemble mais Gnous·se insiste sur la différence entre ce qui se passe dans l’équipe et sur le plateau de théâtre. Pour elle, ce dernier est un outil essentiel qui leur permet de créer un espace fictionnel ou non, d’inventer des choses ou de les raconter telles quelles.
« C’est un espace de création où on peut aller plus loin, moins loin, à l’inverse de ce qu’on pense et de ce qu’on lutte pour essayer des choses dans cet espace particulier. » Gnous.se
Rose non plus n’a pas envie de passer un message politique unique à travers le spectacle.
« Il y a pleins de choses qui sont montrées qui vont contre nos idées, on expérimente la violence en fait. C’est super important que cet espace de création ne reflète pas uniquement nos pensées politiques et personnelles. »
Une première performance publique
En mai 2021, les Pieuvres réalisent leur première performance public dans le cadre d’une scène ouverte organisée par les occupant·e·s de l’opéra de Lyon. Le collectif, qui partage leurs luttes sociales notamment sur la précarité du milieu artistique et sur les violences sexistes, décide de présenter un extrait de VIOLENTES sur le parvis du monument emblématique.
« C’était quelque chose qu’on avait envie d’essayer. Quand on est, comme beaucoup de gens du groupe, né·e avec un corps assigné femme montrer sa poitrine ça reste quelque chose de pas évident. » Pour Alice, cette performance publique a permis au collectif de se confronter à la possibilité de faire cet acte en dehors de l’espace protégé de la scène.
Moment fort et caractéristique du spectacle, l’extrait choisi montre les 17 pieuvres ne faisant qu’un dans une action commune et uniforme. Tous·tes torse nu, iels marchent dans un mouvement répétitif synchronisé sur une musique rythmée. La scène transpire la puissance collective et le sentiment de révolte malgré les problématiques qu’elle soulève en ne reflétant qu’une petite partie des thèmes abordés dans le spectacle.
« Moi je suis une personne non binaire, ma poitrine pour moi c’est une poitrine non binaire et je sais très bien que quand je suis seins nus sur scène, les gens voient une meuf. » Millepertuis
Si les artistes performants poitrine nue se situent tous·tes différemment sur le spectre du genre, le public est pourtant susceptible de les catégoriser comme femmes cis. La question de l’importance de la réception se pose alors.
« Personnellement j’accepte ce compromis que le public puisse ne voire que des femmes mais que des femmes puissantes sur scène. Pour moi, c’est de l’adelphité. » Rose
Gnous.se rajoute que les 5 minutes montrées ne posent certes pas tous les questionnements présents dans l’intégralité du spectacle mais elles ont le mérite de montrer ce qu’est la puissance collective presque indépendamment de la question du genre.
« C’est vraiment un moment de groupe et un moment de puissance qui nous amène vers le texte de Wittig, texte qu’on voulait porter en espace public, faire entendre parce que ça fait partie de nos inspirations les plus importantes. »
Vers de nouvelles dates et un nouveau projet ?
Compagnie étudiante toute jeune et en voie vers la professionnalisation, les Pieuvres débutent le projet avec seulement 500 euros de subvention. Un crowdfunding lancé en février 2021 les aide à se développer. Leur objectif est de se faire rémunérer en tant qu’artiste pour peut-être se lancer sur une nouvelle création.
« On va peut-être repartir complètement ailleurs, mais avec cette identité du Collectif des Pieuvres et ces méthodes de travail qu’on développe. » Gnous.se
En attendant la suite, leur premier spectacle se joue encore !! C’est un spectacle qui tisse, à base de paillettes et de guns, de chants et de cris, une toile d’adelphité et qui redonne l’espoir de lutter ensemble… Chez CCC on l’a vu et on vous le conseille.
Justement ! Les Pieuvres reviennent tout juste du festival parisien des Floréales, et iels performeront ce week-end à Lyon (théâtre de Kantor) dans le cadre du Festival des Cithémuses :
> Réservez vite vos billets pour le samedi 25 ou le dimanche 26 <
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Solène, rédactrice chez CCC Média