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The Correspondents
The Correspondents : Episode 1 – L’assaut du Capitole
The correspondents, c’est la correspondance de CCC avec l’Amérique. Ce qu’il se passe aux USA, première puissance mondiale, nous concerne tous, nous impacte tous. Dans cette série, CCC reviendra sur les évènements outre-Atlantique, avec de nombreux intervenants, divers et variés.
Aujourd’hui, lundi 8 février 2021, s’ouvre le second procès en destitution de l’ex-président Trump. Il y a un mois, le Capitole, siège du pouvoir législatif américain, était la cible de l’extrême droite. Dans ce premier épisode, notre équipe aborde avec trois américaines l’attaque sinistre du Capitole le 6 janvier, et ses conséquences.
C’est la première fois de l’Histoire des Etats-Unis qu’un président est l’objet de 2 procédures de destitution. Donald Trump laisse derrière lui un pays profondément divisé, avec comme point d’orgue l’attaque du Capitole. Le 6 janvier, ses supporters les plus extrémistes envahissent le siège du Congrès – l’équivalent du Parlement en France – après un discours du président sortant. En encourageant ses partisans à refuser selon lui « une élection truquée », accusation sans preuve, l’ex-président a provoqué de facto une tentative d’assaut envers le pouvoir parlementaire. Outre les images marquantes, 4 personnes ont trouvé la mort à l’intérieur même du Capitole, emblème de la démocratie américaine.
Pour en parler, CCC média a contacté trois américaines issues de la « Middle Class » de la West Coast. Kelly Kiser et Tessa Michael vivent à San Francisco, Californie. Kate Kiser habite Seattle, Washington. Jeunes travailleuses, elles officient respectivement dans la santé, la restauration et le social. Dans cette interview, elles donneront leur point de vue sur la situation politique aux Etats-Unis.
Le 6 janvier, les mensonges d’un président élu ont provoqué une attaque par l’extrême droite du Capitole, siège du pouvoir législatif. Qu’est-ce qui s’est passé ? Comment cela a pu arriver ?
Tessa : Trump est un président qui n’a pas attendu l’élection pour crier au vol démocratique. Des semaines auparavant, il annonçait déjà que s’il gagnait, c’était une élection légale, mais que s’il perdait, c’est uniquement par la triche. Pendant l’élection, il a encouragé ses supporters à se radicaliser par le rejet de l’élection.
La jeune américaine énumère les différents hashtags lancés par Trump alors même que les bulletins n’étaient pas encore décomptés : « Stop the Count ! » (Arrêtez le décompte !), « Stop the steal » (Arrêtez le vol), « They’re not gonna steal it from us » (Ils ne vont pas nous la voler). Selon elles, le président américain, garant de la démocratie, ne devrait jamais prononcer de telles choses.
Kate : Mike Pence doit certifier les résultats au Capitole le 6 janvier.
Par 306 voix contre 232, Joe Biden est élu. Après l’élection, aux Etats-Unis, le vice-président doit certifier la régularité de l’élection deux semaines avant la prise de fonction. C’est une procédure de formalité ; mais pas cette fois.
Kate : Quelques jours avant, Trump dit : « If you’re a true patriot, I will see you at the Capitol » (Si vous êtes un véritable patriote, je vous verrai devant le Capitole). Des milliers de personnes se rassemblent donc pour le discours du Président. A sa fin, les manifestants avancent petit à petit en direction de l’édifice, repoussant les forces de l’ordre en sous-effectif.
Mike Pence, républicain très conservateur et proche de Donald Trump, a pourtant certifié la véracité de l’élection.
Tessa : Une des questions que l’attaque soulève est le rôle de la police. Pendant les mouvements Black Lives Matters, les policiers étaient très agressifs, et ont procédé à des milliers d’arrestations avec brutalité. Face aux suprémacistes blancs, ils ont été très passifs.
En effet, si certains policiers ont été violentés par les manifestants, d’autres ont pris des selfies avec des individus d’extrême-droite. Deux officiers de police ont été ainsi suspendus, et 10 autres sont sous enquête.
« Il y a quelque chose que nous ne comprenons pas dans l’Amérique profonde. »
Vous vivez dans le Nord-Ouest des Etats-Unis, à plus de 3500 km de la capitale, Washington DC. Pouvez-vous nous raconter votre réaction lorsque vous avez entendu que l’extrême droite envahissait le Capitole pour selon eux renverser la démocratie ?
Un silence se crée. Les 3 américaines se regardent, personne n’ose prendre la parole en premier.
Kelly : J’étais au milieu d’une réunion quand c’est arrivé. Je me souviens de la surprise générale, et l’horreur.
Kate : C’était effrayant, mais pas surprenant. Nous avons vu Trump et ses fans se radicaliser depuis des mois et des mois.
Tessa : Depuis 2016 et son élection, beaucoup de gens se demandent où est la limite pour Trump. A chaque fois qu’il franchit une ligne rouge, qu’il dit ou fait quelque chose d’horrible, tout le monde attend les répercutions. On se demande : où est la limite ? Quand les conséquences vont-elles enfin lui tomber dessus ? C’est terriblement insupportable d’être le témoin de cela. Mais désormais, même les républicains laissent Trump tomber, le Capitole semble être la limite. Pour moi, c’est le résultat naturel de ses 4 dernières années. Ma surprise fut le nombre de personnes en désaccord avec la réalité, prêt à se battre pour Trump, une personne qui n’a rien en commun avec eux.
Mais pourtant 74 millions d’américains ont voté pour lui. C’est moins que Biden, mais cela reste impressionnant. Comment voyez-vous cela ?
Kelly : Il y a tellement de gens qui croient en Trump, en l’élection truquée. Tellement de théories conspirationnistes. Il faudrait peut-être redéfinir notre manière de regarder les politiciens. L’élection de Trump montre qu’il y a quelque chose que nous ne comprenons pas dans l’Amérique profonde, que nous ne voyons pas. Quand on écoute Trump, il ne parle pas du tout comme un politicien. Il ne fait que répéter les mêmes choses encore et encore : «we’re good, we’re great ». Mais il n’y a pas de substance dans ces paroles, c’est vide. Il y a donc 70 millions d’américains qui ne s’identifient pas du tout aux politiciens traditionnels. Il faudrait faire en sorte de rendre les discours politiques audibles.
Kate : Nous avons vraiment l’affrontement entre deux Amériques. La présidence Trump marquera l’Histoire américaine. Un jour, un autre essayera de renverser la démocratie comme lui, et ce précédent est vraiment très inquiétant. Il n’y a pas de retour en arrière.
« Peut-être qu’on a besoin d’un Biden, qui est extrêmement ennuyeux, extrêmement vieux, très très centriste. »
Selon vous, après Trump, de quoi les Etats-Unis ont-ils besoin ?
Tessa : C’est difficile de le savoir. On pourrait penser à AOC (Alexandria Ocasio-Cortez, démocrate, représentante élue de New York, dispose d’une influence grandissante), mais elle est beaucoup trop à gauche. Actuellement, elle ne pourrait faire aucune réforme. Peut-être qu’on a malheureusement besoin d’un homme comme Biden, qui est extrêmement ennuyeux, extrêmement vieux, très très centriste. Dans les années 80, il aurait sûrement été considéré comme un républicain, tant il est conservateur. Mais il pourra doucement ramener les Etats-Unis vers un milieu plus calme et raisonnable.
Qu’attendez-vous de la présidence de Joe Biden ?
Kelly : Je suis vraiment impatiente ! Bon, impatiente n’est peut-être pas le bon mot, mais en ce moment, je prendrai tout sauf Trump. Il est vraiment conservateur, mais c’est excitant d’avoir une femme, Kamala Harris, comme vice-présidente.
Kate : Biden n’est pas l’idéal, mais c’est celui qui est élu. Et avec la majorité démocrate au Congrès, il pourra faire des choses.
Tessa : Tout à fait. C’est très rare d’avoir toutes les instances du même parti. Et c’est ça que j’attends le plus dans la présidence Biden.
En effet, le parti démocrate dispose désormais de la majorité dans les 3 grandes instances gouvernementales : Le Sénat, la chambre des représentants, et la Maison Blanche. Eclipsée par les évènements tragiques du Capitole le même jour, l’élection des 2 sénateurs de l’Etat de Géorgie fut pourtant extrêmement importante. Dans un Etat historiquement républicain, les démocrates Jon Ossoff et Raphael Warnock ont fait virer le Sénat du côté démocrate. Warnock, pasteur de l’église d’Atlanta où officiait Martin Luther King, devient le premier sénateur noir de l’histoire de la Géorgie. Un contexte idéal se dessine pour le nouveau président Biden. Les prochains mois dicteront le rythme de la prochaine présidence américaine.
Thomas Chollet-Lunot pour CCC Média